Le mot de la semaine : « Octocrylène » ! Impossible d’être passé à côté. Que comprendre de ce sujet qui a fait polémique (une de plus) ces derniers jours ?
Un chimiste (Gaël Gervais, Responsable du laboratoire ANALYTEC) et une toxicologue (Clarisse Bavoux, Senior Regulatory Toxicologist – Safety Assessor, Pharm D., PhD, ERT / CEHTRA) nous donnent quelques explications factuelles !
Gaël Gervais
L’Octocrylène (CAS 6197-30-4) est un filtre UV organique employé dans les crèmes de protection solaire.
Le squelette de La molécule d’Octocrylène contient un motif bi-cyclique qui peut conduire à la formation de benzophénone (CAS 119-61-9). Cette dégradation de l’Octocrylène semble relativement simple puisqu’il s’agit d’une simple hydrolyse.
Ces molécules sont toutes les deux liposolubles avec des coefficients de partition (Log P) entre 3.2 (benzophénone) et 6.1 (Octocrylène). Elles possèdent en outre des motifs structuraux spécifiques qui leur permettent d’absorber le rayonnement UV ce qui les rend relativement aisément mesurables par chromatographie liquide haute performance avec une détection ultra-violet (HPLC-UV) et ce, sur une large gamme de concentration allant du ppm à la dizaine de pourcents. A tous les stades de développement, de production et de durée de vie du produit, il est donc aisé de doser l’Octocrylène et le benzophénone.
Clarisse Bavoux
L’Octocrylène est un filtre UV listé à l’Annexe VI/10 du Règlement Cosmétique pour cet usage, jusqu’à 10% dans le produit. Les données toxicologiques disponibles ont tout d’abord permis un avis favorable du SCCS en 1994 pour son utilisation comme filtre UV, ce qui n’a pas empêché de nouvelles discussions sur sa sécurité. En effet, suite à certains doutes qui pesaient sur ses propriétés de perturbation endocrinienne, la sécurité de ce filtre a de nouveau été évaluée, et confirmée par le comité européen, dans son avis préliminaire en janvier 2021 (SCCS 2021). Celui-ci a jugé que les données disponibles, tant sur les propriétés de perturbation endocrinienne que sur les effets toxiques observés dans des études de reprotoxicité, permettent de confirmer une dose sans effet (la NOAEL) nécessaire à l’évaluation du risque.
D’autres caractéristiques de son profil toxicologique (comme la photo-allergie) restent des points de vigilance pour l’évaluateur de la sécurité. On pourra remarquer que ce filtre n’a jamais fait l’objet d’étude de cancérogénicité. Les aspects environnementaux (en particulier Persistance et Bioaccumulation), s’ils ne font pas partie des préoccupations du Règlement Cosmétiques, intéressent le programme Européen CORAP.
L’étude publiée par Downs montre que dans certaines conditions l’Octocrylène peut subir une dégradation en benzophénone (Downs et al. 2021). Cette substance, contrairement à d’autres benzophénones, n’est pas un filtre UV autorisé. Elle est utilisée et autorisée en Europe comme substance aromatisante par le Règlement Européen 1334/2008. Sa sécurité d’utilisation a également fait l’objet de révisions récentes.
L’EFSA a confirmé en 2017 sa Dose Quotidienne Tolérable (EFSA 2017). En effet, des effets toxiques sont clairement décrits en cas d’utilisation répétée. Cependant, ces effets, pouvant aller jusqu’à des cancers, ne dépendant pas d’un mécanisme d’action génotoxique. Il est donc possible de maîtriser le risque par l’utilisation d’une marge de sécurité suffisante. Cette toxicité a justifié en 2020 la conclusion du RAC (Committee for Risk Assessment) de l’ECHA, adoptant la classification harmonisée Cancérogène catégorie 1B.
Ainsi, dès lors que cette classification sera applicable, mais par anticipation au vu de la toxicité spécifique, les traces de cette substance cancérigène ne devraient être acceptables que dans les conditions prévues par l’Article 15 du Règlement : elles devraient être techniquement inévitables (et il s’agit alors de maîtriser la dégradation), et sans risque pour le consommateur (ce que l’évaluateur de la sécurité vérifie pour chaque rapport de sécurité).
Downs, C. A. et al. 2021. “Benzophenone Accumulates over Time from the Degradation of Octocrylene in Commercial Sunscreen Products.” Chemical Research in Toxicology: acs.chemrestox.0c00461. https://pubs.acs.org/doi/10.1021/acs.chemrestox.0c00461 (March 11, 2021).
EFSA. 2017. “Safety of Benzophenone to Be Used as Flavouring.” 15(September).
SCCS, Consumer Safety Committee Scientific. 2021. “Scientific Committee on Consumer Safety SCCS – Preliminary Opinion on Octocrylene. SCCS/1627/21.” (June): 1–71.
Les molécules et les phénomènes sont connus. Ils peuvent et doivent être mesurés et pris en compte :
- pour l’évaluation du risque,
- pour la détermination des PAO (et des volumes unitaires de ces produits),
- pour la rédaction et signature de l’attestation de sécurité
Voir et savoir par le dosage de l’Octocrylène ET du benzophénone est donc possible, en tenir compte dans l’attestation de sécurité est nécessaire… afin de couper court à toute polémique !